Entretien avec Marianne Clévy

Coordinatrice artistique de Corps de Textes Europe

Marianne Clevy

A quel besoin répond ce projet ?

"Il répond à une question que tous les théatres qui travaillent sur les dramaturgies contemporaines se posent : comment repérer des textes intéressants, les faire connaître et reconnaître ? Au départ, le projet avait été conçu pour un seul centre dramatique et pour les écritures françaises. Au bout de trois éditions, nous en avons vu les limites et eu l'idée de récolter des textes d’autres pays. Non seulement pour élargir le projet à l’échelle de l’Europe, mais aussi pour avoir des textes qui parleraient du même monde, avec des décalages intéressants".

Quelle est la spécificité de Corps de Textes Europe ?

"C’est un format de recherche-action qui n’est pas fréquent, un hybride entre une transmission de textes et un festival. Corps de Textes couvre toute la chaîne de l’écriture, à l'exception de l'édition : du comité de lecture ou des contacts personnels pour débusquer les textes jusqu’à leur mise en scène. Chaque membre du réseau est devenu un dénicheur de textes, et comme cela se sait, nous sommes aujourd’hui d’autant plus vite et mieux informés. L’autre spécificité est que nous travaillons sur la durée. Sur les quelques 50 textes sélectionnés cette année, 5 à 10 vont continuer à circuler et une dizaine va resurgir dans quelques années. Il faut laisser aux textes le temps de rebondir. Comme il faut laisser aux gens le temps de se rencontrer…"

Quelles sont les règles du jeu ?

"La première règle est bien sûr de faire circuler les textes. Ces textes ne proviennent pas forcément de jeunes auteurs mais d’auteurs qui grattent des sujets sensibles…. Des textes qui grincent et qui interrogent la société. Corps de Textes se mêle de politique et le revendique. Nous avons aussi institué quelques principes pour les mises en lecture et les ateliers : la présence de l'auteur, et éventuellement de son traducteur, l’organisation d’un débat entre professionnels et avec le public. Chaque partenaire décide de la méthode et des moyens qu'il met en place. La production n’est pas l’objectif ultime, même si on ne se l’interdit évidemment pas."

Quel est le rôle du public ?

"La présence du public est importante, c'est notre partenaire et nous en avons besoin. Lorsqu’une lecture est bien reçue par le public, il appartient aux professionnels de sentir si ce texte une fois mis en scène peut s’avérer génial ou pas. Si le public s'ennuie ou déteste, il est rare que le texte passe la rampe... Les lectures sont un format parfois difficile, mais intéressant car il donne l'essentiel d'un texte. Il n’est pas toujours facile de réunir un public pour ce genre d’exercice, mais il n’y a pas non plus de fatalité. Les Rencontres de Lisbonne nous ont donné une leçon : grâce à une programmation intelligente, un peu décoiffante et une campagne bien menée, les trois soirées ont réuni plus de 1500 spectateurs."

Quel est le sort des textes que vous faites circuler ?

"Comme je le disais, sur la cinquantaine de textes sélectionnés pour cette édition, une petite dizaine va continuer à circuler et une autre dizaine resurgira dans quelques mois ou dans quelques années. C’est vrai qu’il y a un gros « déchet », mais nous revendiquons le droit de nous tromper, ou plus exactement de tenter des choses… A contrario, certains textes ont des itinéraires assez exceptionnels. « Le soleil même pleut », une texte de Françoise Berlanger, avait été présenté par le Théatre de la Place lors de l’édition 2007/2008, avec un titre différent, « L'oeuf blanc ». Lu à Rouen et à Liège dans l’édition 2009/2010, il a été mis en production à Liège par le Théatre de la Place et présenté en création par l’édition 2010/2011. Ce n’est pas une exception : beaucoup de textes que nous présentons continuent de vivre leur vie dans d’autres lieux, d’autres pays, d’autres formats. Et c’est bien ce que nous cherchons."

Quels sont les projets de Corps de Textes Europe pour 2012 ?

"Durant la dernière édition, une toile étonnante s’est dessinée, qui a mené les textes de Plovdiv à Lisbonne, de Liège à Petit Quevilly, révélant parfois la singularité d’une œuvre au cours du voyage. Une toile que l’on n’aurait pu réaliser sans la présence et le travail des traducteurs, indispensables partenaires de cette aventure en trois langues et la constance fidèle des responsables du projet dans les théâtres et compagnies partenaires de Corps de Textes Europe, qui vivaient parfois un contexte politique et économique très tendu. Chaque rencontre nous a aidé à révéler des nécessités ou identifier des besoins pour mieux accompagner les échanges entre les artistes et la production, la création d’œuvres sur le plateau. Temps privilégié de tentatives, de débats, de curiosité, d’altérité, ces rencontres avec le texte contemporain sont sans cesse réinventées par chaque partenaire. Elles sont uniques, singulières et infiniment précieuses. Corps de Textes Europe ne cesse de se métamorphoser, et c’est bien."